Un petit ange pour Isabelle

Ce jour-là, le soleil étincelait de ses rayons dans un beau ciel bleu.  C’était le début de l’été et mon ventre était tout rond.  Comme il s’agissait de ma deuxième grossesse, j’étais davantage consciente des mouvements du bébé.  Je trouvais d’ailleurs qu’il bougeait beaucoup; j’avais l’étrange impression qu’il passait d’un côté à l’autre de mon ventre pas mal rapidement ou qu’il était déjà très grand, peut-être même un peu trop. 

Mon mari et moi étions installés dans la salle où nous allions voir notre bébé pour la première fois.  On pouvait sentir la fébrilité d’une première rencontre dans l’air.  La technicienne est entrée.  Elle plaça l’appareil sur mon ventre et le retira presque aussi vite.  Elle nous demanda alors si c’était notre première échographie.  En farce, dans une tentative de détendre l’atmosphère, mon mari répliqua : « Y en a-t-il deux là-dedans ?»  C’est alors qu’elle nous dit que oui.  Tout de suite, les larmes et les rires se sont mélangés.  J’avais toujours dit que j’aurais trois enfants et mon mari me disait, à la blague, que ça ne se produirait seulement que si nous avions des jumeaux… mon rêve se réalisait.  Je me disais alors que la vie était vraiment bonne pour nous… nous aurions des jumeaux, deux petits garçons.  Je savais que de prendre soin de deux nouveau-nés à la fois serait difficile, mais j’avais été choisie pour le faire, j’en étais reconnaissante.

 Le reste de ma grossesse n’aurait pas pu mieux se dérouler.  À chaque examen, le médecin répétait que tout allait bien, que ma grossesse était idéale.  Cependant, quelques jours avant que je ne donne naissance à mes fils, j’avais un mauvais pressentiment.  Je suis allée voir le médecin et je lui ai fait remarquer que les bébés ne semblaient pas bouger autant qu’à l’habitude.  Il m’a dit que c’était normal à ce stade de la grossesse et m’a renvoyée à la maison. 

Le 25 octobre 2010, en soirée, mon travail a commencé.  J’en étais à 37 semaines de grossesse, ce qui était pas mal exceptionnel pour une grossesse gémellaire.  Toute la nuit, je parlais à mes petits bonshommes.  À chaque vague (contraction), c’était le côté droit de mon ventre, Justin, qui semblait bouger le plus.  Je m’inquiétais donc pour Jérôme.  Pourquoi se faisait-il si discret?  Vers 7 h, le 26 octobre, nous arrivions à l’hôpital.  J’avais hâte de tenir mes fils dans mes bras. 

Une infirmière m’a installée dans la salle d’accouchement et est venue m’examiner.  Elle avait du mal à trouver le battement du cœur de Justin.  Au départ, ça ne m’inquiétait pas trop puisque cela s’était déjà produit auparavant lors d’examens et on m’avait dit que parfois, lorsque les jumeaux sont identiques, leurs cœurs battent au même rythme.  De plus, pourquoi m’inquiéter lorsque Justin avait bougé toute la nuit?  Du moins, c’est ce que je croyais.  Quelques minutes plus tard, c’était le médecin qui m’examinait et qui n’arrivait pas à trouver le battement de cœur.  Il décida alors de faire une échographie, qui fut également infructueuse.  Il me dit alors qu’il allait chercher un appareil plus puissant pour mieux voir, mais je savais quelle serait la conclusion.  J’en avais eu plusieurs des échographies pendant ma grossesse et je savais ce que je voyais à l’écran. Quelques minutes plus tard, c’était confirmé, mon monde s’est écroulé et j’ai ressenti une peine qu’il est impossible de décrire.  Mon rêve venait tout juste de disparaître.  Je ne pourrais pas tenir mes deux fils dans mes bras comme je l’avais imaginé.  Je ne verrais pas mes fils apprendre à marcher en même temps.  Je ne les verrais pas jouer au hockey dans la même équipe.  Je ne les verrais pas obtenir leur diplôme du secondaire ensemble.  Justin ne serait pas le garçon d’honneur au mariage de son frère.  C’est ça, perdre un enfant si tôt.  Certains s’imaginent que lorsqu’on a n’a pas connu son enfant, lorsqu’on ne l’a pas vu grandir, le deuil n’est pas si grand.  Mais mon fils, je l’avais porté.  Je lui avais parlé pendant 9 mois et surtout, j’avais imaginé son avenir.  C’est pour cela que nous nous emballons à l’idée d’avoir un enfant : nous voulons le voir grandir.  J’aurais voulu crier, mais je n’y arrivais pas.  À ce moment-là, tout ce que je voulais, c’était donner naissance à Jérôme pour assurer sa survie. Je devais être forte pour lui et lui permettre de naître dans le calme et y trouver de la joie.  C’était ce petit Jérôme qui, en tentant de sortir de mon ventre, avait poussé contre son frère toute la nuit précédente, qui l’avait fait bouger.

À 13 h, je donnais naissance à Jérôme.  On l’a placé sur ma poitrine pendant une petite minute.  Je ne pouvais retenir mes larmes.  J’étais tellement heureuse d’entendre ses cris et si triste à la fois.  Je vivais les deux événements qui touchent l’essentiel de l’existence en même temps : la vie et la mort.  Pendant les deux heures qui ont suivi, mon travail s’est poursuivi.  Même si je savais que Justin était déjà bien loin, j’espérais toujours, à chaque poussée, que j’entendrais ses cris, que les médecins s’étaient trompés, que mon fils était toujours vivant.  Mais, en même temps, je demandais à mon grand-père d’ouvrir grand ses bras et de le prendre.  Ça me rassurait de savoir qu’il n’allait pas être seul.  À 15 h, dans le silence, Justin est né.

Après l’accouchement, je suis retournée dans une chambre pour y attendre mes bébés.  Tout d’abord, à 16 h, on m’a apporté Justin.  Il était parfait.  On aurait dit un ange.  Je lui ai parlé, je l’ai montré à des gens qui l’aimaient.  Notre rencontre a duré quelques minutes. Je le reverrais le lendemain et, une dernière fois, le jour de ses funérailles.

Il était 17 h et je n’avais pas encore revu Jérôme.  Ce que je ne savais pas, dans toute ma peine, c’était qu’il luttait alors pour sa vie.  Il était gravement malade et devait être transféré d’urgence à l’Unité de soins néonatals intensifs de l’Hôpital de Moncton.  Ce soir-là, très tard, j’arrivais à l’Hôpital de Moncton et je revoyais mon fils.  Il était tout petit, branché à une foule d’appareils.  Il respirait avec peine, mais malgré tout, je savais qu’il survivrait.  Croyez à l’instinct maternel ou non, même si les médecins nous disaient qu’il était gravement malade, je savais qu’il reviendrait à la maison avec nous.

Jérôme a passé neuf jours au sein de l’Unité de soins néonatals intensifs.  Chaque jour, je lui parlais à travers les petites portes de son incubateur, je lui chantais des chansons.  Chaque fois qu’il entendait ma voix ou celle de son père, son rythme cardiaque changeait.  Chaque fois qu’on nous le permettait, je le prenais dans mes bras, le collais contre ma peau et le berçais. 

Les infirmières et médecins qui œuvrent dans cette unité sont absolument incroyables.  Ce sont des gens passionnés qui ont à cœur le bien-être de leurs petits patients. Je leur serai éternellement reconnaissante. Non seulement ils ont été là pour mon fils, mais ils ont veillé au bien-être de mon mari et moi alors que nous vivions deux drames à la fois : nous avions perdu un fils alors que l’autre luttait pour survivre. 

Dans toute cette épreuve, nous avons eu droit à de petits miracles.  La veille des funérailles de Justin, Jérôme était toujours aux soins intensifs et on estimait qu’il serait hospitalisé pendant au moins deux autres semaines.  Le lendemain des funérailles, le médecin nous annonçait que l’état de Jérôme s’était amélioré radicalement au cours de la nuit et qu’il serait à la maison dans 48 heures.  À ce jour, je crois toujours fermement que c’est Justin qui a voulu nous faire un cadeau pour nous aider à guérir.

Le retour à la maison n’a certes pas été facile.  Nous devions entrer dans la chambre qui était prête à accueillir deux bébés.  Nous devions démonter la couchette de Justin, retirer un siège dans l’auto.  Les semaines qui ont suivi ont été difficiles.  Au départ, je croyais que je ne m’en sortirais jamais.  Il y avait une boule dans mon estomac qui était là constamment… la boule qui se loge dans notre gorge juste avant que l’on se mette à pleurer, elle était là, lourde et stagnante.  La nuit était pire.  Je me réveillais vers 3h du matin et tout ce que je faisais, c’était pleurer.  Parfois, je me sentais mieux pendant une heure ou deux et la peine venait me surprendre, tout à coup, alors que je ne m’y attendais pas.  C’est alors que des gens essayaient de nous consoler en nous disant qu’au moins, nous avions un fils.  Chaque fois que j’entendais ces paroles, je ne pouvais pas concevoir que c’était ce qu’on me disait.  Lorsqu’on perd un parent, va-t-on se consoler d’en avoir au moins un?  Mais quand on perd un enfant, pour reprendre les paroles de la chanson de Lynda Lemay, il n’y a pas de mots :

Quand on perd ses parents, on s’appelle orphelin
Quand on perd son mari, alors on s’appelle veuve
Quand on perd son petit, c’est évident, il n’y a pas de mot

Il n’y a rien à dire puisque ce n’est pas dans l’ordre normal des choses.  On nous parlait aussi du temps qui allait arranger les choses.  Même si je savais que ces gens avaient raison, je ne voulais pas vraiment entendre ces phrases.  Je voulais mon fils.  Je voulais revenir en arrière.  Je me posais toutes sortes de questions.  Si j’avais accouché plus tôt, aurais-je mes deux fils aujourd’hui?  Aurais-je dû poser plus de questions?  Parfois, je rageais.  Pourquoi nous? Qu’avions-nous fait pour mériter cela?

Jérôme avait environ 5 mois lorsque j’ai rencontré d’autres mamans comme moi.  Ça été un moment marquant vers ma guérison.  Enfin, je parlais avec des personnes qui comprenaient exactement comment je me sentais.  Elles aussi avaient perdu un enfant peu avant ou après la naissance.  Instantanément, ces femmes, que je ne connaissais pas, sont devenues des personnes avec qui je partageais mes sentiments les plus profonds.  Plus j’en parlais, plus ça me libérait.  Quand j’ai donné naissance à mes fils, je m’étais dit que je ne voulais pas devenir la mère qui pleurerait le fils qu’elle a perdu toute sa vie.  Je devais vivre, grandir pour mes deux autres enfants.  C’était ce que je faisais en prenant soin de moi en parlant avec d’autres mamans « orphelines ».  Quelques mois plus tard, je suis tombée sur un livre intitulé « Lorsque grossesse devient tristesse ». 

Encore une fois, je rencontrais des mères qui avaient vécu une situation similaire à la mienne.  Cette fois-ci, je ne voyais que leur photo et lisais leur témoignage.  C’est alors que je me suis dit que je voulais faire la même chose.  Je voulais raconter mon histoire en espérant qu’elle permettrait à d’autres mamans de se sentir mieux et de voir qu’elles ne sont pas seules.  Je voulais raconter mon histoire pour montrer à d’autres parents qu’il est possible de revivre après avoir vu mourir une partie de soi et de ne jamais oublier que nous avons été choisis parmi des millions pour être les parents de petits anges qui veilleront sur nous pour toujours.

 

Commentaires

Quel beau témoignage Isabelle! Merci de partager ton histoire et celle des autres avec nous. Ta force est contagieuse et tu es réellement une source d'inspiration! xxx

Salut Isabelle!
Juste un petit mot pour te féliciter pour ton beau site web. Ton témoignage était touchant!
Les mots me manquent pour en dire plus.
Je suis contente de pouvoir te compter parmi mes collègues!
Monique xo

Je suis heureuse de lire que mon témoignage vous a touché.  C'est ce que j'espère quand je songe au rôle de cette section du site.  J'espère que plusieurs seront touchés et surtout, inspirés à faire une différence !

J'admire ta force et ton courage! Continue ton beau travail avec Les Ailes du Papillon.

Merci beaucoup Sylvie ! Les Ailes du papillon me permettent de faire honneur à la vie de Justin et de mon père !

Bonjour Isabelle,
Juste un petit mot pour dire wow…Quel courage tu as! Je viens de découvrir ton site et je vais le partager avec mon équipe et d'autres mamans qui vivent une situation semblable! Bravo!

Merci beaucoup Isabelle ! Surtout, merci de vouloir partager le site avec d'autres mamans... c'est l'une des choses que je désire le plus au monde, aider d'autres parents qui ont vécu une situation similaire.

Wow, Isabelle...extrêmement touchant...quelle force, quelle inspiration...

J'ai lu votre histoire et malgré le temps qui est apaisé, malgré les années qui me sépare de mon fils, malgré la guérison, malgré tout... j'ai pleuré ta peine. xxx biz à toi et ta belle famille, vous êtes magnifiques. Et merci pour le beau clin d'oeil à mon livre qui, je crois, vous a un peu donné espoir!

nadia

Il est très tard ou très tôt... L'insomnie a décidé de s'emparer de moi cette nuit et j'ai décidé d'en profiter pour faire quelques mises à jours dans le site web.  C'est alors que je suis tombée sur votre message.
Oui, votre livre m'a fait le plus grand bien parce que les témoignages qu'il contient m'ont permis de "rencontrer" d'autres mamans comme moi, comme nous...  Votre livre m'a permis de réaliser que je ne suis pas seule et surtout, que la douleur saura s'apaiser avec le temps. 
Merci Nadia!

C'est de bouche à oreille que je me suis rendue sur ton site aujourd'hui! Ouf! Que d'émotions! Étant maman de jumeaux moi-même, j'ai certes partager avec sourire mais avec larme à l'oeil lorsque tu racontais l'expérience vécue. Incroyable force et courage et quelle belle famille!!! Tu es une inspiration de vie Isabelle! Quelle idée géniale de vouloir donner comme tu le fais! Bravo à toi et bon succès!

Merci Sylvia pour ton commentaire! Tu sais, je fais ce que je fais pour guérir parce que ça me fait le plus grand bien.  Si, en même temps, je peux inspirer d'autres gens à faire du bien et aider d'autres mamans comme moi, j'en suis très heureuse.
Merci encore!
 
 

Ton témoignage me touche beaucoup. Quelle belle force de courage. Ma mère t'a vu hier au marché de Dieppe et m'a raconté ton histoire. J'ai déjà perdu deux bébés par avortement spontané et ma fille est née à 32 semaines. Je suis enceinte d'un autre bébé et j'espère de l'avoir à terme. Ton témoignage m'a beaucoup touchée et encore une fois merci de partager.

Merci Karina pour ton message.  Je me souviens très bien de ton histoire également pour en avoir parlé avec ta mère. J'espère que tu pourras mener cette nouvelle grossesse à terme. Pourrais-tu m'envoyer un courriel à info@lesailesdupapillon.com lorsque tu te sentiras prête à la faire?  Je pense très fort à toi!

Allo Isabelle,
je salue ton courage tu sais, et me dis quelle force de la nature que tu es! Aussi, quel talent tu as pour organiser, structurer et gérer des evenements comme celui du lancement-spectacle de samedi dernier. On a passé une magnifique soirée, on a été traité aux petits oignons, merci!
Merci pour la réplique du tableau de la pochette. Ce qui est bizarre, Florence a dit en le voyant "c'est le dessin du "Ti-koala"! Dieu sait comment elle a fait le lien, Un ange lui a peut être chuchotté à l'oreille.

Longue vie aux Ailes du Papillon. Sache qu'on est là.

Merci à toi et à Mathieu pour "Ti-Koala"... Je crois très fort aux anges et, comme tu le dis si bien, il est fort possible qu'un petit ange l'ait chuchoté à l'oreille de Florence.  Un projet comme celui le l'album et même la vie de la fondation, je la dois à tous les gens qui, comme toi, de part leur générosité, plonge dans les projets les plus fous afin de vouloir faire du bien.
Merci d'être là!
Isabelle

Bonjour,

c'est encore moi, l'auteure du livre: Lorsque Grossesse devient tristesse.

Comme plusieurs me l'on déjà demandé, je serais ouverte aujourd'hui à faire un tome 2.

Si vous êtes intéressés à y participer, même si c'est beaucoup d'émotions et que ce n'est pas tout les jours facile, je vais recueillir des témoignages.

pour plus d'informations ou pour participer, écrivez moi à nadiapinet sur gmail.com

je vous guiderez.

merci et bienvenu dans ma nouvelle aventure!

courage à vous,
l'espoir demeure, le bonheur revient!

Nadia Pinet

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